Petite erreur, cela fait quelque temps que Pablo est diplômé.
Article de "El païs" (journal Espagnol)trouvé sur le site de la fondation " PASO A PASO"-traduit par les parents d'un adulte avec T21 de Toulouse
http://www.pasoapaso.com.ve/motiva/motiva108.htm L’instituteur Pineda, 29 ans. Diplômé de l'équivalent de l’IUFM et bientôt licencié en Psychopédagogie. Cet Espagnol Pablo Pineda est la première personne avec trisomie 21, dans toute l’Europe,connue pour être arrivée aussi loin. Ce jeune envoie, à travers cette interview, un message à la société : « tout est possible. »
L’interview a été diffusée sur le forum de discussion « Educacion inclusiva »,
en décembre 2003Pablo Pineda dit qu’il a appris qu’il était trisomique (syndrome de Down) vers 6 ou 7 ans. « Un professeur d’Université qui dirigeait le Projet Roma, Monsieur Miguel Garcia Melero, me demanda dans le bureau du directeur : Tu sais que tu es trisomique ? Moi, innocemment je lui répondis que oui alors que je n’en avais pas la moindre idée. Il s’en rendit compte et se mit à m’expliquer ce que c’était, quoiqu’il ne soit pas généticien mais pédagogue. Et moi, comme j’ai toujours quelque chose à ajouter et que j’ai cette vivacité d’esprit, je lui dis : « Don Miguel, je suis bête ? »
Pourquoi le lui avez-vous demandé cela ?
-Je ne sais pas. C’est difficile de savoir. Peut-être, que si à 6 ans on t’associe à un syndrome, tu l’associes à être bête ou non. Il me dit que je n’étais pas bête et je lui demandai : « Je vais pouvoir continuer à étudier ? ». Il me répondit : « Oui, bien sûr. » Puis les histoires de la rue ont commencé ; les enfants ont commencé à me dire : « Pauvre petit, tu es malade » Et moi ça me faisait râler car je n’étais pas malade.
Mais vous vous rendiez bien compte que votre visage était différent
Ca oui. Que j’avais les yeux plus étirés, que les mains n’étaient pas pareilles. Je n’avais pas vu d’autre enfant trisomique, mais j’avais peut-être la puce à l’oreille. J’avais peut-être une inquiétude. Et cette histoire de syndrome, quels problèmes ça allait me poser ? A la maison, mes parents ne m’avaient jamais rien dit, mais après cette révélation, je demandais à ma mère : « C’est vrai que je suis trisomique ? » J’étais avec mon frère Pedro, l’aîné, qui étudiait Médecine à cette époque et il commença à m’expliquer ce qu’était la génétique, les gènes ; c’est ainsi que j’ai commencé à comprendre. Et je leur ai posé la même question qu’au professeur : « Je peux continuer à étudier ? » « Bien sûr », répondirent les deux, « sans problème ».
J’étais très à l’aise à l’école avec mes copains. Ensuite, pendant longtemps, je n’ai pas cherché à en savoir plus ; jusqu’à ce que je commence les études pour être instituteur, à 21 ans, en abordant le thème de l’éducation spéciale : c’est là que je me rendis compte de ce qu’est ce handicap. Bien que, en le décrivant, les livres disaient que c’était une maladie, parlaient de la déficience, de tous les problèmes qu’ils ont. Très négatif. Et quand j’ai commencé à le lire, je me suis dit : je ne suis pas comme ça.
Vous avez pensé que vous étiez un trisomique un peu spécial ?
Exactement. J’ai pensé aussi, que, ce n’était pas seulement moi qui étais spécial, les nombreux autres trisomiques que je connaissais à ce moment-là n’étaient pas non plus comme les livres les décrivaient. La littérature nous décrit pire que ce que nous sommes en réalité et nous met à l’écart. En parlant des capacités motrices ils donnent des explications qui devraient être données à propos des capacités mentales. Le mental est encore plus mal abordé que les aspects physiques.
Ils disent que nous sommes déficients, que nous sommes retardés. Et qu’il n’y a aucune solution, ce qui est pire. Ils restent au niveau des altérations visibles et associent le mental avec la folie, parce qu’avant on ne faisait pas la différence entre déficience mentale et maladie mentale. Et on la fait encore mal… C’est ainsi que lorsque les gens voient un handicapé mental ils disent : il est fou. La déficience est associée à la folie
Etudier, vous coûtait plus qu’aux autres ?
Non. Bon, je n’aime pas du tout les chiffres et les mathématiques ; mais ça n’est rien d’extraordinaire, ni caractéristique d’un trisomique.
Je suppose que l’adolescence a dû être une étape plus dure que l’enfance.
Je suis passé par différentes époques. Quand j’ai commencé le lycée, personne ne s’attendait à voir un trisomique au lycée, et les gens me regardaient en ayant l’air de dire : qu’est ce qu’il fait ici celui-là. Ils ont fait quelque chose d’illégal à savoir que les professeurs ont dû voter mon admission au lycée.. . Ca a été dur. Mais peu à peu j’ai sorti mon torrent de magie, ou d’affection et j’ai conquis mes camarades, car j’étais très conscient que je devais le faire. Je savais que je devais foncer en bavardant avec mes camarades, en me mêlant à eux et c’est ce que j’ai fait. Et ils ont très bien réagi ; en première année ça a été une relation sympathique. Et les professeurs, même s’ils s’étaient permis de voter sur moi, j’en ai mis beaucoup dans ma poche, même si eux, ce fut par mes capacités intellectuelles. Je leur posais des questions en classe, je m’intéressais et ça les ébranlait. Après, la deuxième année, là, ça a été affreux. Peut-être parce que les enfants de 14 ans sont encore des enfants, mais ceux de 16 ans jouent les durs, ils sont cruels, et alors ils ont commencé à me regarder par dessus l’épaule, à ne plus me parler. La vie était impossible.
Et qu’avez-vous fait ?
Au début j’ai été surpris. Je me suis découragé et j’ai pensé jeter l’éponge. Je ne savais pas non plus comment raconter tout ça à mes parents et donc je me suis tu. Les professeurs de première année étaient jeunes mais en deuxième année ils étaient plus vieux et ne croyaient pas en moi. Ils disaient que cet enfant ne pouvait pas apprendre, qu’ils ne savaient pas comment faire avec moi, que je n’apprendrais jamais, que les mathématiques me coûtaient énormément. Ils ne voyaient aucune lueur d’espoir et je commençais à déprimer.
Quelles étaient vos matières préférées ?
J’adorais l’histoire et les sciences sociales. Je lisais les « annuaires » (Note : les « anuarios » sont publiés chaque année par les grands journaux espagnols pour rappeler les différents événements nationaux et internationaux ayant eu lieu l’année précédente, avec commentaires, analyses…)
.Et j’aimais aussi le grec. Le professeur était très jeune, il venait d’arriver au lycée et j’aimais beaucoup comme il m’apprenait.
On arrive en troisième année. Alors, que se passe-t-il ?
Eh bien, que tout va à nouveau très bien. J’ai beaucoup d’amis, nous faisons des voyages.
Et quand vous a-t-on complètement accepté ?
Rapidement. J’ai donné des conférences, et dans l’une d’elles, quand j’avais 14 ans, une dame m’a demandé si je ferais de la chirurgie esthétique pour changer les traits de mon visage. Et je lui dis : « Non, j’en suis très fier » Et puis : « Tu n’aimes pas comme je suis ? » J’ai été très exigeant avec moi-même.
L’un des problèmes des trisomiques c’est que la société les traite toujours comme des enfants. Cette lutte pour grandir, il faut parfois la faire contre sa propre famille.
Par exemple, mon physique est le même depuis plusieurs années, je ne vois pas de changements sur moi. Lorsqu’on me demande quel âge j’ai et que je dis 29 ans, on me répond que je ne les parais pas. Ca m’embête. Je sais que c’est à cause du physique mais je n’aime pas qu’on me traite comme un enfant ; mais c’est très difficile. Il est vrai que les gens pensent que tu es toujours un enfant.
Certains handicapés sont peut-être piégés par ça. Ils préfèrent ne pas grandir, comme beaucoup d’autres enfants et être Peter Pan pour ne pas s’affronter à un monde qu’ils supposent hostile.
A moi ça ne m’est pas arrivé. Quand j’avais 14 ou 15 ans, j’avais une telle estime de moi-même que je n’aimais pas du tout le côté commisération. Je voulais y échapper, montrer qui j’étais et ce que je pouvais faire.
En réalité votre vie doit être difficile. Il faut être un bon guerrier pour la mener.
Oui c’est dur, surtout parce que tu dois toujours démontrer que tu peux. Que tu peux faire ça ou autre chose. Que tu peux voyager. C’est très fatiguant, tu en as assez. Parfois tu penses que les préjugés ont diminué mais c’est qu’ils sont plus enfouis. Pour l’admission (dans le supérieur), il y a eu une séance de fin d’année. Les filles ont remporté tous les prix, sauf deux qui furent pour un autre garçon et pour moi. A la fin, le directeur a dit : « Et maintenant je vais vous parler d’un garçon que vous connaissez tous, qui a fait de grands efforts mais a qui on n’a pas fait de cadeaux. Ce garçon c’est Pablo Pineda. » Dès qu’il dit mon nom, la salle s’est levée et a applaudi. Je suis resté tétanisé.
A quoi vous sert l’attention que vous éveillez ?
Pour moi c’est rien, mais pour le collectif, c’est tout. Je le fais pour le collectif. Je dois le faire, je me sens en dette avec ce collectif depuis que j’étais petit. Depuis le programme « Aujourd’hui parle Pablo », lorsque j’avais 8 ans et que j’apparus pour la première fois à la télévision, et que je dis qu’il fallait amener les enfants trisomiques à l’école avec les autres et les laisser jouer à la récréation.
Il est curieux qu’avec le temps vous soyez devenu la star de votre famille.
Oui. J’ai deux frères qui ont fait des carrières universitaires supérieures et moi qui suis le petit et trisomique… Je ne crois pas au destin et à tout ça ; mais cependant, depuis tout petit je me suis rendu compte que le fait d’être marqué par la trisomie m’obligeait à quelque chose. Ne pas être normal te marque, la société te demande quelque chose pour ça. A moi, ça m’est arrivé.
Une dame qui s’y connaît me disait que tous les trisomiques ne sont pas égaux et que c’est ce qui explique que vous ayez pu étudier.
Ca c’est le discours qui boucle la boucle. Oui, mais le fait est que les différences ne s’expliquent pas génétiquement, elles s’expliquent culturellement. C’est là que se trouve la différence entre un trisomique qui peut étudier et un autre qui ne peut pas. Mais ils nous divisent entre enfants porteurs de trisomie mosaïque, ou par translocation ou libre ; ce sont les trois espèces de trisomie qui existent, génétiquement parlant.
La dame dont je vous ai parlé m’a dit que si vous êtes arrivé à l’Université c’est que vous deviez être porteur d’ une trisomie mosaïque.
Oui, ou bas-relief… Je suis libre, je suis normal. On dit que les mosaïques ont plus de possibilités que les autres mais il se trouve que je ne suis pas mosaïque. C’est pourquoi mon cas montre bien que la génétique n’explique pas la différence. On m’a déjà dit d’autres fois que je dois être mosaïque, que ça ne peut s’expliquer autrement. Parfois la communauté scientifique et les gens sont bêtes et ils ne comprennent rien qui ne soit pas expliqué par la génétique.
N’est-ce pas comme admettre, d’entrée, qu’il n’y a pratiquement rien à faire pour vous ?
Bien sûr, comme si nous ne pouvions pas être stimulés, comme si on ne pouvait rien nous apprendre. De cette manière, ils n’ont pas à assumer leur responsabilité. Et comment l’expliquent-ils ? Eh bien, en disant que celui-ci est mosaïque. Un autre argument est de dire que j’ai une trisomie légère, ou que je suis limite. Mais non, je suis « trisomie libre »
La première fois que j’ai parlé à votre mère, je me suis rendu compte que ce n’était pas une mère ordinaire.
Non. Rien de tout cela ne serait arrivé si elle n’avait pas agi comme elle l’a fait. Et d’une mère pas ordinaire naît un trisomique qui pour beaucoup de gens n’est pas ordinaire.
Mais à l’intérieur du Projet Roma, qui est européen, combien sont allés à l’Université comme vous ?
Moi seul. Mais, comme chez les gens normaux, il y a des différences et tous ne vont pas à l’Université, la même chose se produit avec nous. Chacun arrive où il peut. Et cela me donne une responsabilité très grande. Il y a quelques jours, des parents qui se rendaient à un congrès international du Projet Roma me disaient : « Pablo, tu es un pilier fondamental du Projet. ». Ils m’ont dit souvent que j’ai ouvert le chemin.
Vos parents vous ont poussé à ce que vous fassiez vous-même les choses, ils ont consulté les médecins quand vous étiez petit ?
Quand on a commencé, plus que consulter les médecins, c’était eux qui disaient aux médecins ce qu’il fallait faire. Ceux-là disaient : cet enfant ne pourra apprendre que les choses les plus simples et mes parents ne les écoutaient pas : toi, occupe-toi des amygdales et moi je m’occupe de son éducation. Ils n’ont jamais cru que je ne pourrais pas apprendre, ils n’ont jamais cru mon médecin qui pourtant était très gentil et m’aimait beaucoup, mais sa mentalité était de cette époque. Mes parents ont toujours pensé que je devais être autonome et m’ont éduqué pour cela. Don Miguel Lopez Melero a été un aiguillon. Quand j’étais petit il me faisait de petites vacheries. Par exemple, il me disait qu’il allait venir me chercher et il ne venait pas, il me laissait seul pour voir ce que je faisais. C’était malin ! Et moi, en plus de le maudire, lui et tous les siens et d’être mort de faim, eh bien il fallait que je me débrouille, je prenais un autobus. Toute une aventure. Tous, mes parents, mon frère, mon oncle m’espionnaient à tour de rôle, cachés derrière un journal comme des détectives. Et même, quand il pleuvait un peu et que je demandais à mon père de m’amener à l’école, il me disait : « Mets ton imperméable et prends l’autobus. » Mes parents ont été forts, ils n’ont jamais cédé, je n’ai jamais trouvé leur point faible.
Donc, vous n’avez pas été surprotégé ?
Si, j’ai eu une protectrice. C’était ma tante Encarna. Elle n‘avait pas d’enfants et m’aimait beaucoup. Jusqu’à mal faire, dans le sens où, quand j’allais chez elle, elle m’étalait le beurre sur le pain par exemple. Si je restais seul à la maison, elle me disait d’aller dormir chez eux, elle ne pensait pas que je pouvais dormir seul. Quand elle est morte, ce fut un coup de massue mais aussi un point d’inflexion ; je n’avais plus personne qui me protège de cette manière. Peu après sa mort, mes parents durent faire un voyage et ce fut pour moi une leçon d’autonomie. Enfin ! Car ma tante m’adorait mais elle était l’élément perturbateur. Une fois, nous sommes partis en voyage avec Miguel Melero ; elle était très sourde ; à l’aéroport elle commença à me mettre le sucre dans le lait. Alors, don Miguel a réagi brutalement : il a donné une tape à ma tante, chose qu’elle a très mal pris. Ah ! Ah ! Ah ! Ce qui est sûr, c’est que lorsqu’elle mourut, j’appréciai cette autonomie. Je devais aller acheter, manipuler l’argent. Ce fut un très grand changement, je commençai à préparer mon dîner : l’œuf frit, la salade, la grillade. Ce sont des choses faciles, mais normalement, un trisomique ne les fait pas ; s’il a des parents protecteurs, il ne le fait pas. Parce qu’il y a le feu, l’eau bouillante, etc.
Vous avez un bon vocabulaire
J’ai beaucoup lu. Des « annuaires » , des revues, des journaux. Tout.
Et des romans ?
Ma mère me dit : « Tu dois lire des romans au lieu des « annuaires » ». Mais les « annuaires » me plaisent beaucoup. Je ne sais pas, j’ai beaucoup de mémoire et j’associe ce qui est arrivé un jour avec ce qui s’est passé pour moi ce même jour. Les romans ne me disent rien. Je préfère écouter « Le Top 50» que lire un roman. Ca paraît une bêtise ; je dirais même plus, c’est une bêtise de dire quelque chose comme ça, mais que se passe-t-il ? Eh bien, que Le Top 50, c’est ce qu’écoutent les gens de mon âge, le monde réel ; c’est la musique qu’écoutent les jeunes. Ce n’est pas les romans. Les jeunes ne lisent pas de romans et c’est peut-être pour ça que je n’en lis pas moi non plus. Qu’est-ce que je veux ? Eh bien, être un jeune, je veux être un jeune. Ca, c’est un sujet de discussion que j’ai avec mes parents, un débat philosophique. L’année où ça s’est mal passé pour moi au lycée, cette lutte avec les jeunes, ça m’a fait mûrir. J’avais 15 ans et les parents à cet âge comptent beaucoup ; alors ils me firent prendre goût à la musique classique, à la culture, et moi je restais dans le milieu de la culture adulte, dans le strictement raisonnable. Et lorsque je me suis retrouvé seul à la maison je me suis dit : maintenant il faut que je sorte mon côté le plus jeune et ce fut fini du reste. Fini de Beethoven. Ma mère dit que je suis devenu enfantin, que j’ai régressé, qu’avant je m’intéressais à la culture plus que maintenant. Mais ce n’est pas ça… ce que je suis en train de faire, c’est me mettre à ma place. J’ai besoin de la musique moderne, des groupes. J’étais en train d’étudier Piaget en écoutant du chant grégorien. Imagine toi, étudier Piaget avec le chant grégorien ! C’est à mourir ; il y a de quoi prendre les notes et les jeter par la fenêtre. J’ai remplacé par Le Top 50, ça m’a donné du courage et j’étudiais plus facilement.
Et vous pensez que, comme font les adolescents, vous êtes en train de vous affronter à vos parents ?
Oui. J’ai trop vécu avec les adultes. Même mon professeur de soutien me le disait : « Pablo, tu es en train de t’isoler ». Parce que je restais chez moi avec les livres et la musique classique. Et maintenant il y a une autre porte, je l’utilise ou non. Je crois que cela fait partie de la lutte pour l’autonomie, pour la première fois j’ose avoir mes propres goûts. Quand je vois mes neveux qui font maintenant du violon, du chant, je me dis : à 15 ans, qu’ils font vieux ! A 15 ans, ce qu’on aime c’est sortir, s’amuser. Mais je ne dis rien, je me tais mais je le pense. Si j’avais 15 ans maintenant, c’est sûr qu’ils me mettraient dans un chœur pour chanter le miserere. Et ça ne veut pas dire que je ne m’entends pas bien avec mes parents. Mais c’est autre chose. Ils s’habituent ; ils me considèrent je crois comme un cas désespéré. Avant, si je voulais regarder « Star Académie », ils me disaient : qu’est-ce que tu fais ? C’est débile. Aujourd’hui ils savent parfaitement que je vais le regarder.
Vous avez dit que votre professeur vous disait que vous étiez en train de vous isoler. Jusqu’où allait votre confiance avec lui ?
Avec lui je parlais de tout, de choses dont je ne parlais pas avec ma mère : de sexe par exemple.
A quel âge les filles ont-elles commencé à vous plaire ?
Toujours. J’ai toujours été amoureux. J’ai eu beaucoup d’amours platoniques. Quand je vois une fille très jolie, je suis déjà en train de tomber amoureux. J’adore les jolies filles. Au collège, j’aimais déjà être avec les filles. Celles de ma classe se comportaient avec moi de façon naturelle, l’une d’elles me fit entrer dans un groupe d’Action Catholique. Je sortais avec eux, après la messe on s’attendait dehors. Et un jour, c’était en 1992, après Noël, je les attendais comme d’habitude. Dix minutes, quinze, une demi-heure, trois quart d’heure, et personne ne sortait. J’étais fâché, jusqu’au moment où quelqu’un est arrivé : « Où sont-ils passés ? » Il me répondit qu’ils étaient partis depuis longtemps. Je partis en pleurant à chaudes larmes. J’arrivai chez mon oncle, les yeux très rouges : « Pablo, tu as pleuré ? » A partir de là, j’ai quitté le groupe. Après, j’ai été chez les scouts. A cette époque je cherchais toujours des copains et je voulais savoir comment il fallait faire avec les filles, quel était leur monde. Je ne connaissais pas alors la signification du mot déception. Une autre fille est apparue, toujours j’en rencontrais, et je restai ébloui. Elle était très jolie, j’ai essayé « Que tu es belle », jusqu’au jour où j’ai vu le copain, et bon… Quand je le racontais à mes parents, ils me disaient : « Allons, Pablo, c’est que tu ne regardes que les filles très jolies. » A cette époque c’était un amour spirituel, plus que charnel.
Et après ?
Chez les scouts, il y avait une autre fille, Seigneur ! Et pareil. Jusqu’à ce qu’au jour où lors d’un camp, il se produisit une grosse tension. Il y avait son petit ami, c’était un copain, et en plaisantant il me dit : « Il paraît qu’Unetelle te plaît... ». Ce fut terrible, je pleurai, je m’enfuis, elle vint vers moi : « Pablo, nous sommes de très bons amis, et nous devons le rester. » Que je me sentis mal ! C’était la pire chose qu’elle pouvait me dire. C’est là que je me rendis compte que la question des filles, c’était très difficile… une difficulté de plus. Je sus que la trisomie allait marquer ma vie, que les filles ne voulaient pas tomber amoureuses de moi parce que j’étais trisomique. Et je continue à me révolter contre cette pensée. Mais je sais que cette éventuelle fiancée devrait être vraiment spéciale comme aucune autre pourrait l’être. Les filles normales ne m’aiment pas ; elles ont beaucoup de préjugés, elles ont peur, elles ont une famille. Imagine ce que dirait un père qui se rendrait compte que sa fille a un copain porteur de trisomie…
Mais vous dites que vous vous révoltez contre cela. Votre prochain défi pourrait-il être de rencontrer une jeune fille qui vous plaise ?
Mais s’embrasser serait déjà un scandale public. Imagine. Les adultes se scandaliseraient, iraient appeler un agent, ça serait la panique. Ca me fait peur. Il y a deux ans, j’étais seul sur la plage en train de téléphoner et dans les cinq minutes j’ai eu un gendarme à côté de moi : « Tu as un problème ? » « Non » « C’est que quelqu’un m’a dit que tu étais perdu. » Tu te rends compte, parce que je téléphonais… Si j’embrasse une fille, c’est pas un gendarme qui viendra mais cinq !
Vous aimeriez vivre seul ?
Pour ce qui est de pouvoir, je pourrais mais on est très bien chez ses parents, pour dire les choses comme elles sont. L’autre jour j’ai vu un reportage sur les étudiants dans lequel on disait que la plupart vivent chez leurs parents parce que la vie est très chère et tout ça…Je considère que je suis l’un d’eux, j’ai les mêmes problèmes que n’importe quel étudiant. De plus j’ai commencé à travailler en février au Service Social de la Mairie. Je suis spécialisé dans le secteur des handicapés, je suis ce qu’on appelle un « sensibilisateur » Les personnes handicapées viennent me demander ce qu’ils peuvent faire, ainsi que leurs parents, ils viennent me consulter.
Après avoir obtenu votre diplôme à l’école de formation des maîtres, vous êtes maintenant en train de préparer votre licence en psychopédagogie.
C’est un peu plus difficile, plus abstrait. Surtout la partie sur les psychologues comme Piaget. C’est comme un désert. J’espère terminer cette année et c’est alors que je serai officiellement licencié. Et mon destin me pousse à aller par là, pour conseiller, orienter. Maintenant le directeur du Service Social m’a inclus dans un projet de l’Union européenne dont le but est de favoriser l’emploi aidé et pour lequel il faut faire un travail de sensibilisation très important ; je vais aller dans les entreprises avec cet objectif. Ils veulent créer un réseau d’entreprises solidaires où pourront travailler les handicapés. Dans ce travail, je suis avec une équipe éminemment féminine avec Inès, Marie, Lola et deux autres garçons : Daniel et André. Nous apportons un appui psychopédagogique et je suis content, ça me permet de me sentir utile.
Je lisais l’autre jour dans un livre qu’être porteur de trisomie 21, comme cela arrive avec d’autres choses, vous place dans une catégorie qui a plus de force que les potentialités et les talents que l’on peut avoir.
On te met une étiquette et tu ne sors plus de là. Toute la vie je vais la porter sur moi. De même qu’on appelle David Bisbal, la Star (Star académie), moi, on m’appelle le trisomique. On a des consolations, comme lorsque le Directeur du Service Social a dit à mes collègues : « Servez-vous de Pablo : il a beaucoup de capacités ». C’est à dire, je vois que dans le travail on me juge utile et ça me plaît. Mais ce qui me satisfait le plus, c’est de montrer ce que nous sommes capables de faire, qu’on le voie à travers ce que je fais. Evidemment on ne peut comprendre cela que si l’on s’intéresse aux autres, si l’on est progressiste.
Vous l’êtes ?
Je le suis. C’est pourquoi je critique ce discours conservateur qu’il y a maintenant, dans le secteur éducatif, social, politique. C’est pourquoi je suis contre la loi de la Qualité de l’Education car elle est conservatrice et qu’elle signifie un retour en arrière sur le plan de l’éducation des handicapés. Comment peut-on dire de qualité une loi qui prévoit davantage d’examens et de concours dans une société où il faut accroître les valeurs sociales ? C’est une loi rétrograde par rapport à tout ce qui a été fait précédemment en mesure d’aide. Je ne peux y être favorable, le discours de maintenant c’est de nous mettre dans des ghettos. Comme je ne peux pas être non plus en faveur de la guerre. Je ne peux pas. Ni avec les politiques qui sont maintenant au pouvoir. Et de plus le discours concernant les handicapés est global, il touche de la même façon les trisomiques, les noirs, les Arabes, tous ceux qui sont différents. Le respect des droits de l’Homme veut que nous soyons tous égaux : c’est ce qu’il faut mettre par-dessus tout, par-dessus l’argent, le pouvoir et la concurrence. Et sur tous ces points, nous sommes en train de reculer. Avec les leaders mondiaux tellement conservateurs comme Berlusconi, Sharon, Bush… Où allons nous ? Nous, les progressistes nous vivons une époque vraiment très dure.